G. Droit de la preuve
Les dispositions relatives à la preuve, aux moyens de preuve, aux mesures d'instruction et à la conservation de la preuve se retrouvent essentiellement aux articles et règles suivants : art. 117 CBE, art. 131(2) CBE, règle 117 CBE (les règles 117 et 118 CBE ont été modifiées par décision CA/D 12/20 du 15.12.2020, JO 2020, A132, entrée en vigueur le 1er janvier 2021) à règle 124 CBE (modifiée par la décision CA/D 6/14 du Conseil d'administration, JO 2015, A17, et est entrée en vigueur le 1er avril 2015), et règle 150 CBE. Il convient de noter que les règles 117 et 118 CBE modifiées en 2020 concernent les mesures d'instruction par visioconférence ; à rapprocher du nouvel art. 15bis RPCR entré en vigueur en 2021 (JO 2021, A19), ainsi que de G 1/21 du 16 juillet 2021 date: 2021-07-16 (JO 2022, A49).
Lors de la révision de la Convention en 2000, le contenu de l'art. 117 (2) CBE 1973 à l'art. 117 (6) CBE 1973 a été remanié pour constituer un nouveau l'art. 117 paragraphe 2 CBE. Les modalités de la procédure d'instruction ont été insérées dans le règlement d'exécution (cf. JO éd. spéc. 5/2007, partie II, p. 194-209). En outre, l'art. 117(1) CBE révisé n'énumère plus les instances de l'OEB habilitées à procéder aux mesures d'instruction mais mentionne "les procédures devant l'Office européen des brevets" en général. (T 2320/16 concernant la procédure orale sous forme de visioconférence, la chambre a formulé quelques remarques sur l'art. 117 CBE 1973, les travaux préparatoires et la CBE 2000).
L'art. 117 CBE intitulé "Moyens de preuve et instruction" est applicable devant toutes les instances de l'OEB, y compris la section de dépôt, la division d'examen et la division d'opposition, la division juridique et les chambres de recours.
Au-delà de la lettre de la CBE, les chambres de recours ont abordé dans leur jurisprudence de nombreux aspects de la recevabilité des moyens de preuve et de l'instruction. Elles ont, en outre, élaboré des principes spécifiquement destinés à régir tant l'appréciation des preuves que l'attribution de la charge de la preuve, afin de veiller à ce que les procédures devant l'OEB soient menées de manière équitable et cohérente.
Dans la décision T 2037/18, la chambre a expliqué que dans la majorité des systèmes juridiques ainsi que dans le cadre de la procédure devant l'OEB (en dehors du domaine de l'examen d'office), la charge de l'allégation et de la preuve est répartie de telle sorte que chaque partie doit présenter et prouver les faits qui lui sont favorables, c'est-à-dire les faits à l'appui de sa propre allégation (T 219/83, T 270/90). Le principe "negativa non sunt probanda" reconnu dans la jurisprudence des chambres de recours (cf. R 15/11, R 4/17) exprime clairement – selon la chambre – cette répartition de la charge de la preuve : une partie n'a pas à prouver un fait négatif ; au contraire, c'est à la partie adverse de prouver, le cas échéant, le fait positif qui lui est favorable. En règle générale, la charge de l'allégation suit la charge de la preuve.
En application du principe de la liberté de la preuve, tout moyen de preuve, indépendamment de son genre, est recevable (T 482/89, JO 1992, 646). L'intéressé est libre dans le choix des modes de preuve, les moyens de preuve énumérés à l'art. 117(1) CBE n'ayant qu'une valeur d'exemple (T 543/95 ; T 142/97, JO 2000, 358).
L'un des principes tel que rappelé notamment par la Grande Chambre de recours est que la procédure devant l'OEB est conduite conformément au principe de la libre appréciation des preuves (G 1/12, JO 2014, A114).
Un droit procédural fondamental ancré à l'art. 117(1) CBE et à l'art.113(1) CBE est le droit de produire des preuves sous une forme appropriée et d'être entendu sur ces preuves (T 1110/03, JO 2005, 302). Tous les faits, preuves et arguments qui revêtent une importance fondamentale pour la décision doivent y être discutés en détail (voir par exemple la décision T 278/00, JO 2003, 546, au chapitre III.K.3.4.4 b)).
Il convient pour l'instance appelée à statuer de vérifier sur la base de tous les moyens de preuve pertinents si un fait peut ou non être considéré comme prouvé (T 474/04, JO 2006, 129 et T 545/08 citant la décision G 3/97, JO 1999, 245, point 5 des motifs).
Lorsque l'offre de preuve sur des faits contestés et essentiels à la solution du litige se réfère à un moyen de preuve décisif, l'instance est en principe tenue d'ordonner la mesure d'instruction demandée (voir T 474/04, JO 2006, 129, à propos de témoins, voir aussi T 2659/17). Toutes les offres de preuve appropriées soumises par les parties doivent être prises en compte (T 329/02).
Le principe de la libre appréciation des preuves n'est applicable qu'une fois les moyens de preuve apportés et ne peut être invoqué pour justifier le rejet d'offre de preuves (T 2238/15, usage antérieur allégué – offre de témoins ; à rapprocher aussi des principes énoncés dans T 1363/14).
Sur la question du traitement pendant la procédure de recours des moyens admis en première instance, la CBE ne fournit aucun fondement juridique pour exclure, dans une procédure de recours, des documents correctement admis dans le cadre de la procédure de première instance, notamment lorsque la décision attaquée se fonde sur ceux-ci (décisions T 1201/14, T 26/13, T 931/14, T 564/12 ; à rapprocher aussi de T 95/07, point 4.2.12 des motifs et T 1277/12 du 7 avril 2017 date: 2017-04-07 ; enfin plus récentes encore T 110/18, T 617/16, T 487/16 (se référant au RPCR 2007 et au RPCR 2020), T 2049/16, cette dernière consacrant de longs motifs détaillés et sur la question en général précisément voir le chapitre V.A.3.4.4 "Moyen admis en première instance – élément de la procédure de recours"). Approche nuancée dans la décision T 960/15. Et sur la question de la recevabilité des preuves soumises par l'intervenant y compris de réintroduire certaines preuves initialement produites par une partie mais qui n'avaient pas été admises car tardives, voir T 2951/18.
Le degré de conviction de l'instance appliqué à l'OEB est généralement l'"appréciation des probabilités" (cf. J 20/85, JO 1987, 102, point 4 des motifs). La règle de l'appréciation des probabilités suppose l'évaluation des éléments de nature à entraîner la conviction de la chambre dans un sens ou dans un autre (T 286/10). Cependant, notamment lorsque l'une des parties seulement – l'opposant – a accès aux informations relatives à un usage antérieur public qui est allégué, la jurisprudence a tendance à exiger que l'existence de cet usage antérieur soit prouvée de façon à ne laisser place à aucun doute raisonnable ou "de façon incontestable" (cf. par exemple T 55/01, point 4.1 des motifs, et T 472/92, JO 1998, 161, point 3.1 des motifs ; T 2451/13, Exergue). Le lecteur pourra trouver un résumé de la jurisprudence des chambres sur cet aspect par exemple dans les décisions suivantes : T 738/04, point 3.4 des motifs ; T 286/10, point 2.2 des motifs ; T 918/11, point 3.3 des motifs ; T 2054/11, points 2.2 et 2.3 des motifs ; T 2227/11, point 2. des motifs ; T 274/12, point 4.2.1 des motifs ; T 202/13, point 15.6.1 des motifs ; T 2451/13, point 3.2 des motifs ; T 545/08, points 7-11 des motifs.
Le droit de la preuve sur les publications Internet semble être désormais fixé par les décisions T 286/10 et T 2227/11, encore confirmées par T 1711/11, T 353/14, T 545/08. Le critère de preuve adéquat pour les citations Internet est l'appréciation des probabilités. La conclusion de la décision T 1134/06 (suivie par les décisions T 19/05 et T 1875/06), selon laquelle le critère de preuve plus strict de l'appréciation "au-delà de tout doute raisonnable" devait être appliqué aux divulgations dans Internet, a été réfutée.
Examiner les éléments de preuve retenus par la chambre de recours relève d'un réexamen au fond exclu de la procédure de révision (R 21/09, R 6/12). Le grief tiré du renversement de la charge de la preuve ne relève pas de la liste exhaustive des causes possibles de révision (R 21/10).
Sur la langue des documents utilisés comme moyens de preuve, la règle 3(3) CBE prévoit qu'ils peuvent être produits en toute langue. Toutefois, l'Office européen des brevets peut exiger qu'une traduction soit produite dans l'une de ses langues officielles dans un délai qu'il impartit. Si la traduction requise n'est pas produite dans les délais, l'Office européen des brevets peut ne pas tenir compte du document en question. La décision T 276/07 a eu l'occasion d'en faire application (autre exemple, voir T 2437/13). Par ailleurs, la langue à utiliser pour l'audition et le procès-verbal est régie par l'art. 14(3) CBE (langue de la procédure) et la règle 4 CBE (dérogations aux dispositions relatives à l'utilisation de la langue de la procédure au cours de la procédure orale) (Directives E‑IV, 1.3, "Mesures d'instruction" – version de mars 2022 ; v. aussi le chapitre III.F.2. "Langue de la procédure"). À rapprocher également de T 1787/16 dont les motifs très détaillés portent sur la langue de la procédure et la rédaction des décisions, et qui contient ce faisant quelques mentions sur la langue des preuves.
Voir enfin T 2165/18 pour le cas très particulier de la demande de transcription du témoignage dans la langue du témoin (polonais) – procès-verbal d'audition en français (langue de la procédure) – requêtes en transcription et rectification des procès-verbaux jugées sans fondement par la chambre.
Renvois : les questions de preuve irriguent l'ensemble du droit des brevets, le lecteur se renverra donc par exemple avec profit aux différents chapitres suivants qui traitent spécifiquement de questions de preuve : I.C.3.2.3 "Divulgations Internet" ; I.C.3.2.2" Conférences et divulgations orales" ; I.C.3.5. "Preuve" ; I.C.3.5.1 "Charge de la preuve" ; I.C.3.5.2 "Degré de conviction de l'instance" ; I.C.3.5.2 c) "Internet – preuve de la date à laquelle les informations ont été disponibles" ; I.D.4.3. "Solution d'un problème technique" ; II.A.2.2.2 "Charge de la preuve" ; II.C.6.6.7 "Expériences" ; II.C.6.8. "Documents publiés ultérieurement" ; II.C.9. "Preuve" ; II.E.5. "Preuves et degré de conviction de l'instance concernant l'admissibilité de modifications et de corrections" ; III.A.2.3. "Lien de causalité et nécessité d'apporter la preuve de la violation du principe de confiance légitime" ; III.B.2.3. "Motifs ou éléments de preuve surprenants" ; III.B.2.4.5 "Éléments de preuve non pris en considération" ; III.B.2.6.4 "Audition de témoins" ; III.B.2.7.1 "Faits et preuves présentés pour la première fois lors de la procédure orale dans une procédure inter partes" ; III.C.6.3. "Présentation tardive de nouveaux faits ou preuves lors de la préparation de la procédure orale – règle 116 CBE" ; III.E.4.4. "Motivation de la requête en restitutio in integrum" ; IV.B.2.6.5 "Nouvel argument fondé sur des motifs et éléments de preuve préalablement communiqués" ; IV.C.4.6.2 "Aucune base juridique permettant de rejeter des arguments invoqués tardivement dans la procédure d'opposition" ; V.A.4.4.6 g) "Preuve d'un usage antérieur public soumise tardivement – non admise" ; V.A.4.5.11 a) "Présentation tardive de nouveaux faits et preuves s'opposant aux principes de procédure équitable et d'économie de la procédure" ; V.A.5.5.3 "Documents et preuves produits tardivement", V.A.5.13.6 "Usage antérieur public" ; III.O.2.6. "Preuves et effets d'un transfert" ; IV.C.2.2.8 "Indication des faits, preuves et arguments – nécessité d'étayer les motifs d'opposition" ; IV.C.2.2.8 i) "Usage antérieur public allégué" ; IV.C.3.4.5 "Examen de nouveaux faits et justifications relatifs à un nouveau motif d'opposition" ; V.A.9.8. "Renvoi pour audition de témoins" ; V.B.3.6.4 "Procès-verbal en tant que preuve que l'objection a été soulevée". Voir aussi les Directives E‑IV "Instruction et conservation de la preuve" – version de mars 2022.